La Nostalgie des Blattes
De Pierre Notte
02/02 > 12/02
Naissance du projet
Après avoir travaillé durant plus de 10 ans dans le milieu théâtral, intégré la troupe du Théâtre en Liberté, ainsi que celle du Théâtre de la Chute (pour Julie Lenain) ; après avoir rencontré les équipes du Théâtre des Galeries, celles du Varia, de la Toison d’Or (pour Julie Duroisin), c’est une envie, un besoin, une urgence de s’accomplir en dehors des sentiers battus. La nostalgie des blattes, c’est un peu le projet de l’indépendance et de l’autonomie pour elles.
C’est avec énormément d’enthousiasme que Julie et Julie ont entamé cette aventure, parce qu’elles étaient arrivées à un moment de leur vie où elles avaient, elles aussi, besoin de renaitre et d’exister individuellement ! C’est en s’entourant de leurs meilleures rencontres professionnelles et amicales qu’elles ont décidé de monter ce projet. C’est dans l’amour et la beauté pour le public qu’elles ont voulu travailler. Et c’est aussi avec une joie non dissimulée qu’elles sont fières d’être soutenues par l’auteur, lui-même ému de savoir que son texte est le coup de coeur de deux jeunes comédiennes belges. Avec l’envie d’aller plus loin avec lui, elles se sont nourries de son point de vue d’auteur ainsi que de son expérience. L’échange et le partage ont été au coeur de cette aventure théâtrale.
La pièce
Deux femmes âgées sont assises côte à côte dans un espace nu. Elles attendent des spectateurs qui ne viennent pas. Cela se passe dans un monde entièrement aseptisé où il est interdit de fumer, de manger du sucre et du gluten, où il n’y a plus d’insectes, ni de rats, ni de champignons, où les « brigades sanitaires » veillent au respect des règles d’hygiène. L’une était comédienne bienpensante, l’autre prostituée, mais ce qu’elles ont en commun, la curiosité qu’elles présentent, c’est leur corps qui a vieilli sans aucune intervention de chirurgie esthétique. Par moment, elles entendent des grondements d’engins volants qui s’écrasent non loin d’elles alors qu’elles guettent l’arrivée d’une hypothétique résistance.
Pierre Notte nous parle de deux vieilles peaux, vivant dans un monde hygiéniste, aseptisé : ni blattes, ni grain de poussière, plus le moindre défaut. Tout est botoxé, lissé, gommé. Elles sont les dernières vieilles « authentiques », les dinosaures d’un temps passé que l’on vient visiter comme dans une foire aux monstres ou un musée, que l’on vient scruter, examiner, sonder. Seulement voilà, aujourd’hui, personne ne vient… Elles vont alors se scruter l’une l’autre, se juger, se jauger, se brimer, se chahuter, se persécuter pour finalement se reconnaître et… s’aimer ! Le tout dans une écriture tonitruante et drôlissime. Une déferlante de répliques toutes plus cinglantes et plus cyniques les unes que les autres et qui, au final, nous parlent de l’essentiel : l’amour, la solitude, la décrépitude, la mort.
La transformation
L’envie de se transformer littéralement, esthétiquement est arrivée dès les premières secondes. Une transformation complète et intégrale grâce au maquillage, au latex, à des corps en mousse. Avoir des seins qui pendent jusqu’au nombril, les mains comme des feuilles à l’automne, le cou de dindon, les paupières tombantes, les jambes comme des poteaux alors qu’elles sont en plein milieu de leur trentaine ! L’envie de ce grand bluff… que personne ne les reconnaisse à la sortie du théâtre ! L’envie aussi de rendre hommage à ces vieilles femmes, à nos grands-mères qui nous apprennent à être des femmes assumées.
L’espace visuel
Sur le plateau, un univers glacé, aseptisé, post guerre atomique, sans chaleur. Et au centre de cet univers, les deux vieilles assises. Une vitrine de musée ? Un grand musée poussiéreux, désert, aux vitrines abandonnées avec ces deux ultimes spécimens ? Le spectacle convient tant pour un grand plateau que pour un plus petit.
Le travail des lumières a été d’une importance capitale car elles sculptent ces visages et ces corps en décrépitude.
Un travail collectif permanent entre la scénographie, la mise en scène, les lumières, l’univers sonore et le travail de maquillage a été indispensable tout au long du processus pour créer la « magie » de cette réalité fictive.
Avec
Julie Duroisin et Julie Lenain
Conception & Mise en scène
Hélène Theunissen
Scénographie & costumes
Charly Kleinermann
Création lumières Alain Collet | Maquillage Florence Jasselette | Décor sonore Fahd Moumen | Visuel et photos © Dominique Bréda | Production Lato Sensu asbl | Production exécutive et tournée LIVE Diffusion
En coproduction avec le Royal Festival de Spa, le Centre culturel de Verviers et le Centre culturel de Huy
Avec le soutien du Centre culturel de Beauvechain, du Théâtre des 4 mains et du Théâtre du Parc
Note d’intention de la metteuse en scène
La mise en scène s’est faite dans le respect absolu du texte, de sa poésie inhérente et surtout de son rythme. Et a été menée en étroite collaboration avec tous les partenaires artistiques et particulièrement avec les deux actrices et leurs désirs. Le fait d’avoir deux comédiennes jeunes qui s’emparent de ces rôles n’est pas un obstacle mais plutôt une richesse car l’énergie et la distance nécessaire sont au rendez-vous. Ici, pas de réalisme ou d’identification mais plutôt le jeu au service de deux figures universelles. Ces deux jeunes actrices hyper talentueuses peuvent les représenter avec mystère et cocasserie. En se projetant dans cet univers, elles projettent peut-être leur propre vieillesse.
Le monde d’aujourd’hui veut à tout prix reculer les signes de l’âge, voire les nier. Il déborde de valeurs axées sur le jeunisme, la forme à tout prix, la beauté à tout prix. Nous vivons dans une société de plus en plus hygiéniste et culpabilisant celles et ceux qui restent réfractaires. Il se pourrait donc bien qu’un jour, la vieillesse authentique avec ses nombreuses pathologies n’existe plus. Quelques spécimens resteront certes mais peut-être seront-ils, comme ces deux vieilles, montrés du doigt.
Dans un monde où l’on n’accepte pas de vieillir alors que c’est inéluctable, comment fait-on pour ne pas oublier que ce sont les failles et les faiblesses des êtres humains, celles qui s’inscrivent sur le visage, celles qui marquent la peau du passage du temps qui donnent à voir l’authenticité de notre espèce ? Le thème de la vieillesse – qui n’est peut-être pas sensé toucher des trentenaires – les bouleverse pourtant déjà. L’aborder avec la distance de leurs trente ans, est tout l’enjeu de ce spectacle.
Hélène Theunissen
L’écriture
Pierre Notte disait : « La nostalgie des blattes, c’est deux corps arrêtés, assis de tout temps, immobiles et finis. Ce qui s’opère sur le plateau c’est la quête de deux figures cassées, appelées à se reconstruire, ensemble. Elles pourraient aussi bien être deux hommes, un homme et une femme, deux enfants, ou peu importe. Rigueur radicale, rythme tenu, tension préservée, musique théâtrale d’un mystère qui avance, d’un temps qui va de l’obscurité vers la lumière, de l’enferment vers la liberté. C’est une fête catastrophique, deux forces contraires, la lumière et la noirceur, l’espoir et la résignation, et deux classes sociales, deux façons de voir, de ne pas voir, de s’asseoir, d’être au monde. Deux figures qui l’une sans l’autre meurent de deux manières opposées, mais qui ensemble se lèvent et repartent. Au bout de la pièce, elles auront un projet commun : se lever et partir. La vie trouve toujours une sortie. Perdre les vieilles peaux, renaître. »
La mise en scène respecte cette écriture et cette poésie de la nostalgie d’un temps passé, bourré de défauts mais tellement plus vrai, qu’on a pourtant tendance à dénigrer. Deux femmes assises face au monde, face public, côte à côte, immobiles, stagnantes, concourant de leurs signes de vieillesse. C’est tout. Là, rien d’autre que la monstruosité, le ratage des existences, et les individus fissurés, cassés, qui vont chercher réparation, d’une manière ou d’une autre, l’obtenir ou pas. Férocité et drôlerie pour aider à surmonter la noirceur du constat. La scène serait le lieu de l’exploration des failles, des cassures, des inerties. C’est cela, rien d’autre, dans l’écriture, le jeu, la mise en scène, qui nous intéresse.
Pierre Notte